A la fin du mois d’août, Cristofe Montabord aura quitté la Guyane, le village chinois à Cayenne pour le campus Sciences Po à Poitiers. Ce jeune membre de l’association « Les Frères de la Crik » a suivi un parcours scolaire sans faute jusqu’à l’obtention de son bac ES avec la mention très bien.Catherine Lama • Publié le 25 juillet 2020 à 04h21En même temps que l’obtention de son bac Economique et social avec la mention très bien, Cristofe Montabord, est admis à l’Institut d’études politiques de Paris au campus euro-latino-américain du Collège universitaire de Poitiers. Il vient de franchir un premier palier qui va le conduire sur la voie de l’excellence universitaire. Fier de cette réussite, il demeure toutefois très lucide sur les difficultés qu’il devra affronter pour mener à bien ses études.
Ce qui me motive c’est la peur de l’échec. J’ai peur de ne pas réussir dans la vie donc je me motive pour toujours aller de l’avant.
La stigmatisation, un aiguillon permanent pour réussir
Cristofe a grandi dans un quartier populaire, le village chinois de Cayenne. Depuis petit, il passe de l’espagnol au français. Sa mère, originaire de la République Dominicaine, a élevé son fils seule. Né à Cayenne, le garçon fréquente l’Ecole primaire Gaëtan Hermine, puis le collège Eugène Nonnon avant d’intégrer le lycée Melchior et Garré pour une seconde avec une section internationale américaine. Il met à profit cet enseignement qui lui permet aujourd’hui de s’exprimer parfaitement en anglais en plus de maîtriser l’espagnol. A 18 ans, son bac Economique et Social mention très bien en poche, il se tourne maintenant vers l’hexagone pour un autre cursus.
Depuis sa tendre enfance, le garçon a dû composer avec ses origines et son quartier pour s’élever malgré l’adversité :
Rompre la stigmatisation du village chinois. Tout cela a joué un rôle. On perd parfois la confiance en nous parce qu’on se dit qu’on va être jugé par rapport à nos origines. Donc pour moi c’est comme une sorte de victoire, j’ai réussi malgré la stigmatisation, malgré les regards… Le village chinois ce n’est pas que la drogue, la prostitution, l’alcool etc… c’est aussi du talent, de l’éducation. Je voulais montrer que c’est possible. Je me suis toujours accroché pour ma Guyane, pour mon quartier.
Les frères de la Crik
Comme bénévole à l’association Les frères de la Crik, Cristofe gère la communication sur instagram. Il est devenu membre de l’association à 10 ans. Cela lui a permis de développer son goût pour le monde associatif. Aider les autres, montrer l’investissement de chacun, se sentir au sein d’une communauté et appartenir à un groupe.
Ce que je retiens de cette association, c’est l’aide qui est apportée aux jeunes avec la mise en place de médiateurs. C’est quelque chose de très remarquable… C’est une famille, une fraternité du plus grand au plus petit. Une vraie aide pour les jeunes, la création du groupe de carnaval, les sorties en communes, les prix qui sont donnés en fin d’année pour les diplômés. Soutenir autant la jeunesse cela ne peut être que positif pour l’avenir…
Cristofe, un bon élève certes, mais qui aime aussi se divertir : si je ne suis pas épanoui en dehors de l’école, c’est très compliqué de s’épanouir à l’école…
Le soutien indéfectible de sa mère Francisca
En Guyane depuis près de 20 ans, Francisca Reyes Aquino qui vient de la République Dominicaine, n’a jamais eu de difficultés avec Cristofe.
Cristofe et sa mère Francisca • ©CLUn enfant calme, tranquille qui a suivi une scolarité linéaire passant de l’espagnol au français sans difficulté.
Tout ce que je souhaite c’est qu’il devienne quelqu’un de bien pour la Guyane, pour le pays. Une personne responsable qui sait que rien n’est facile dans la vie. Je suis très contente qu’il aille à Sciences Po, pour moi c’est une fierté. Nous avons toujours eu une bonne relation basée sur la communication. Chaque jour après l’école, il me racontait ce qu’il avait fait, comment cela s’était passé avec les professeurs… Son engagement avec les Frères de la Crik lui a été très profitable et j’ai beaucoup de respect pour les membres de l’association.
La séparation sera difficile pour ce « couple » fusionnel mais Francisca ira voir son fils à Poitiers dès qu’elle le pourra.
L’intégration à Sciences Po
Cela n’était pas forcément sa voie, souligne Cristofe :
Sciences Po, c’est une école sélective, certains sont meilleurs que moi et ont de meilleures notes. Je ne me basais donc pas sur cela au départ. J’envisageais une licence Administration et Echanges internationaux à Paris XII, pour ensuite revenir en Guyane.
Je vais faire le bachelor avec la spécialisation Amérique Latine et ensuite un master, toujours à Sciences Po, dans le développement territorial ou du marketing et de la communication. Je reviendrai en Guyane après pour développer nos échanges avec les pays voisins.
Grâce à internet, Cristofe a découvert son campus à Poitiers. Il en connaît déjà bien les arcanes. Il fraiera, une fois de plus, avec des comparses d’origines très diverses.
©CLIl se fera de nouveaux amis. Cristofe laisse en Guyane son amie d’enfance Rebeca laquelle ira à l’Ecole de Gestion et Commerce mais il retrouvera de temps en temps son alter ego Lionelle qui part à Clermont-Ferrand pour un BTS commerce international.
Cristofe, le jeune homme venu de Guyane, est boursier. Il aura pour poursuivre son cursus étudiant la bourse du Crous et celle de Sciences Po. Les économies de sa mère complèteront ce pécule. Il lui faudra jouer serrer pour tenir le budget de 900 euros.
Très débrouillard, très organisé, le futur étudiant se montre optimiste et enthousiaste. Cristofe connait déjà son emploi du temps et potasse certains cours. Il ne craint pas ce départ pour l’hexagone à Poitiers qu’il va découvrir.
Cristofe Montabord s’investira à fond dans ce qu’il considère être une belle aventure à vivre.